Christian KRUMB – Cabinet de psychothérapie
Gestalt thérapie
La gestalt-thérapie ou l’art du contact
Un peu d’histoire…
Fille rebelle de la psychanalyse, la Gestalt-thérapie rompt avec elle en proposant un tout autre paradigme. Nous sommes alors au sortir de la Seconde Guerre mondiale, au début des années 1950, aux États-Unis, en plein essor de l’approche dite humaniste, centrée non plus sur la pathologie, mais sur le potentiel humain, la personne n’est pas considérée comme un assemblage de symptômes à décrypter, mais dans son effort à trouver librement sa place dans le monde. Autour de la figure charismatique du psychiatre et psychanalyste Fritz Perls, avec Laura Perls, son épouse, le poète et romancier Paul Goodman, ou encore Isadore From, s’est élaborée ce qui devenue la Gestalt-thérapie, dont le nom fait référence à la gestalt-théorie, et se réfère autant à la Phénoménologie ou à l’existentialisme ou au bouddhisme et en particulier au zen, qu’à la psychologie ou à la psychiatrie, ou encore à la psychopathologie, dont la Gestalt est un tentative d’extraire l’individu, pour lui redonner droit.. Elle s’est développé et a pris son essor, dans le grand courant d’émancipation des années 1960. Elle est apparue en France dans les années 1970, grâce en particulier à Serge Ginger, cofondateur de l’École parisienne de Gestalt, et qui a développé une Gestalt-thérapie à la française, à la confluence de tous les courants divers la Gestalt, comme art de vivre, philosophie et thérapie (La Gestalt, l’art du contact, Maraboud, rééd. 2009).
De l’importance de la saine agressivité
A l’origine de la Gestalt-thérapie, un livre précurseur. Fritz Perls, lui-même psychanalyste, qui a connu Freud à Vienne, s’inscrit en effet en rupture avec ses pairs, jugés trop normatifs et systématiques dans leur interprétation du symptôme. En 1941, son premier ouvrage ressemble à un règlement de comptes. Il oppose au dogme des stades de développement très axé sur la sexualité génitale, une approche radicalement différente où les notions d’inconscient et de pulsion sont remises en question de façon radicale (Le Moi, la faim, l’agressivité, Tchou, 1978).
Perls montre qu’au-delà du stade génital et anal, le moment du développement de l’enfant le plus décisif est celui où ses dents poussent : le stade dental, quand le nourrison fait l’expérience de mordre le sein maternel. La réaction de la mère est décisive sur tout le reste du développement existentiel de ce petit d’homme, à partir duquel toute sa façon d’être en relation avec les autres, avec le monde, mais aussi avec ces propres besoins, élans, désirs, explorer le monde pour en tirer ce dont il a besoin pour se nourrir, et rejeter ce qui ne lui convient pas, en d’autres termes, agresser le monde, pour en tirer son énergie de vie, de la même manière qu’on croque dans une pomme, qu’on la mâche et remâche, qu’on en avale des morceaux qu’on digère et que le corps transforme en énergie, incorpore, fait sien, au point où il n’est plus possible de distinguer en soi de la “pomme”… Perls élargit sa métaphore à toute relation de l’individu avec son environnement. Et sa capacité d’y chercher tout ce dont il a besoin pour vivre : de quoi se nourrir, pas seulement d’aliments, mais de savoirs, d’amour et de tendresse, de plaisirs, de beauté, de créativité…
La façon dont l’enfant intègre son agressivité saine déterminera sa vie entière. Tout ce de vie dans le monde. incorporer ce qui lui est nécessaire pour vivre en rejetant ce sa façon d’être en confluence avec son environnement, d’être dépendant des autres, de savoir ou non mobiliser son énergie et aller vers… L’agressivité dentale est donc fondateur de l’individu et tout ce qui entrave ce mouvement naturel de l’être est pour Perls ce qui doit être considéré comme la seul névrose. La thérapie consistant donc à libérer l’énergie d’agressivité pour permettre à l’individu de retrouver la liberté de ses choix et de se déployer pleinement dans le monde à partir de son désir authentique.
La Gestalt-psychologie et l’insistance sur les perceptions
Après la rupture avec la psychanalyse, c’est dix ans plus tard, en 1951, qu’est publié Gestalt thérapie, le livre fondateur, livre collectif, signé par Frederick Perls, Ralph Hefferline et Paul Goodman (L’Exprimerie, 2001),noms auquel il serait juste d’ajouter celui de Laura Perls, qui a beaucoup contribué à l’élaboration de la théorie. Le choix du mot d’origine allemande « Gestalt » (forme), que lui et ses comparses choisissent pour nommer le nouveau modèle qu’ils mettent en place, marque la volonté de se rattacher à un courant autre que celui de la psychanalyse, en l’occurrence la Gestalt-psychologie. Celle-ci s’est développée dans les années 1910-1920 en parallèle à la psychanalyse. Elle met l’accent non pas sur la structure psychique interne de l’individu mais sur ses perceptions et la façon dont celles-ci influencent son rapport au monde.
La grande nouveauté de la Gestalt est de ne plus se situer dans une intériorité, et d’orienter la recherche thérapeutique vers l’introspection, elle est centrée sur la relation de l’individu avec son environnement, la façon dont il interagit, à partir de ses sens, ses sens qui lui permettent de percevoir ce qui émane de lui en réaction avec ce qui vient à lui de l’environnement. L’attention se porte donc à la frontière-contact, entre l’individu et ses sens de perception, et l’environnement, dans les deux directions. Ce qu’on appelle “contact” étant du côté de l’individu la façon dont il est à l’écoute de ses sens de perception : le contact désigne donc d’abord et avant la perception que l’individu à de lui-même, et de son environnement. Mais que ce soit , ce qui pousse de l’intérieur, ou ce qui active de l’extérieur, c’est bien notre perception, la façon dont nous sommes “présents” et dont nous interprétons nos mouvements de vie intérieure (awareness), et notre interprétation de ce qui se passe dans la “rencontre”, la façon dont je réagis aux impulses, et dont je me mobilise, et m’ajuste, pour laisser se déployer tout ce qui émerge de moi émergences en “formes”, figures… voilà ce qui intéresse le cabinet du thérapeute.
L’art du contact…
Quand tout se passe bien, le cycle de contact est plus ou moins fluide, les échanges sont harmonieux, équilibrés et nourrissants, entre l’individu et son environnement. Soit il se fait dans la fluidité, une continuité, l’émergence appelant la mobilisation, le plein contact, la satisfaction de l’impulse, et l’intégration de l’expérience… Ou soit il est interrompu, discordant, en contradiction, à contre courant… Le cycle de contact est alors bloqué… Rétroflexion, déflexion, projection, introjection, confluence, ces mots désignent tout ce qui fait obstacle au plein essor de l’individu, à son être au monde…
Plutôt qu’aller chercher pourquoi c’est le comment cela se passe à ce moment décisif entre perception de mon mouvement intérieur et mobilisation de mon énergie d’action… Qu’est-ce qui m’”agit” à ce moment précis du choix ? On croit faire de libres choix, et on est empêtrés dans des histoires, des projections, des croyances, des convenances… Ou des émotions limitantes, culpabilité, honte, retenue… Tout se joue à ce moment clé du choix : qui est aux commandes alors ? La thérapie met en lumière toute discordance entre la “personne” que je suis vraiment, singulière, unique, en contact, en relation avec la situation du moment, capable de s’ajuster aux mouvement de son environnement de façon créative, mue par une dynamique et une sensibilité qui lui est propre, et ma “personnalité”, tout ce que je crois être ou crois devoir être, ce que j’ai appris, ce qu’on a dit de moi, des convenances limitantes, des façons de faire liées à mon genre sexué, mon appartenance à un groupe, etc. Et ma façon de percevoir les contraintes imposées par l’existence : ma solitude fondamentale, ma recherche de reliance à l’autre, ma finitude, mon imperfection, ma quête de sens face à l’absurde…
Être au monde et frontière contact
Le problème, c’est que nos perceptions ne sont pas un filtre toujours pur et fiable. Elles sont encombrées de nous-mêmes, de nos désirs, de nos croyances, de nos jugements, de nos préconceptions, de nos affects… Y mettre de la conscience permet de faire la part des choses entre ce que nos sens perçoivent (notre vue, notre odorat, notre toucher, notre ouïe, notre goût), ce que nous éprouvons (nos émotions, nos désirs, nos besoins), et ce que nous imaginons (nos projections, nos interprétations, nos jugements). Prendre conscience de la façon dont nous fonctionnons permet d’avoir un rapport plus direct à ce qui est pour ce qu’il est comme il est.
L’insistance sur nos perceptions comme moyen de faire l’expérience directe véritable de ce qui est, au-delà de toute interprétation et préconception, rattache la Gestalt-thérapie à la phénoménologie et à la pensée de Husserl, ou de Merleau-Ponti et de Sartre, dont l’existentialisme très en vogue à l’époque de la fondation de la Gestalt a profondément influencé les fondateurs de la Gestalt. Sans oublier la pensée de Martin Heidegger, et le dasein, -être-le-là, l’insistance sur l’ici et maintenant, une présence ouverte et résonante plutôt qu’une conscience fermée intellectualisante. Ce qu’en retient la Gestalt est d’abord que nous n’existons pas en dehors du monde qui est à la fois la source et l’endroit de notre plein épanouissement. Nous sommes des êtres de relation, et c’est dans la confrontation au monde que nous trouvons la révélation de notre être véritable, qui se déploie comme horizon. Ex-ister, c’est se projeter en dehors de soi pour qu’en retour le monde (l’environnement) nous révèle à nous-mêmes qui nous sommes.
On est donc loin de la logique d’un Moi préexistant qu’il faudrait protéger et révéler comme un trésor à trouver. Nous n’existons que dans l’ici et maintenant de l’expérience que nous faisons du monde à travers la perception qu’on en a. Tout travail d’exploration de l’individu passe donc par mettre en lumière sa modalité de contact avec son environnement. La Gestalt opère alors une sorte de décentrage : de l’intérieur vers l’extérieur, de l’intrapsychique vers l’être-au-monde, en explorant l’endroit où le processus se déploie : la « frontière contact ».
Des individus libres et responsables
Pour exister, il est donc nécessaire de se libérer de toutes les identifications préalables. Pour se construire soi-même, se créer à mesure du chemin, un chemin de vie, qui nous construit à mesure qu’on l’ouvre… Le grand apport de la Gestalt-thérapie est d’avoir mis l’accent sur le potentiel d’humanité en chacun à la fois en lien avec son environnement, mais avec part de libre arbitre de l’être humain. L’influence de l’existentialisme de Jean-Paul Sartre est sur ce point très importante. Elle se traduit par un refus d’une lecture purement déterministe de l’existence, destin programmé d’avance sans que l’on est la moindre possibilité d’en influencer le cours. Pas de destin établi d’avance, puisque c’est à nous de l’écrire. La Gestalt-thérapie se propose de redonner à l’être humain sa part de libre arbitre en l’aidant à se dégager des déterminismes sociaux, familiaux et éducatifs. Le sens de notre vie ne nous est pas donné, c’est nous qui l’établissons.
Cette liberté est grisante. Elle ouvre devant nous des horizons dégagés, tout un champ de possibles. Mais elle peut donner le vertige, et nous confronter à une profonde angoisse existentielle, quand on prend conscience que rien n’est écrit d’avance et que nous sommes responsables de notre destinée. Elle nous met dans une position de responsabilité : c’est moi qui choisit de répondre ou de ne pas répondre à l’appel du chemin… Etre ou ne pas être, cela dépend de moi.
Elle nous met face à nos limites : les contraintes existentielles que représentent notre finitude (nous ne sommes pas immortels, ni nous ni nos créations), notre solitude (nous sommes unique au monde et irrémédiablement seul), notre quête de sens (la vie est aventure imprévisible, mais chaos, c’est nous qui lui donnons son sens), notre responsabilité (nos actes ont des conséquences que nous assumons pleinement), notre imperfection (nous pouvons nous tromper, nous égarer, rien n’est jamais acquis, nous ne sommes pas tout puissants). Mais la notion de responsabilité va plus loin : en tant qu’être humain, nous avons la responsabilité de répondre à l’appel qui nous est fait d' »être » pleinement qui nous sommes… À nous de répondre ou non à cet appel pressant.
Tous uniques
La Gestalt-thérapie s’inscrit également dans le vaste mouvement de la psychologie dite « humaniste », centré non pas sur le symptôme ou la maladie mais sur la personne. Elle se donne pour but de lui permettre de se libérer du conformisme et des automatismes qui font d’elle une personne très bien adaptée à son environnement mais sans possibilité de l’influencer à son tour. Il s’agit de l’amener à développer son individualité et son potentiel créatif. Mais elle n’est pas centrée sur l’intrapsychisme, sur la structure interne de la personne, sur la recherche de secrets cachés dans les tréfonds de l’inconscient, mais sur la façon dont elle entre en contact avec son environnement et déploie son être au monde dans l’ici et maintenant. C’est notre être au monde qui nous révèle tels que nous sommes. Ce processus dynamique où se déploie notre être-au-monde est appelé « Self ». C’est autour de ce processus dynamique, unique à chacun, que la Gestalt-thérapie pose son attention, avec le souci de le laisser de déployer le plus librement et le plus spontanément possible, dans un ajustement créateur de chaque instant.